Test IRL : Peut-on porter plainte contre le harcèlement de rue?

Internaute,

 

tu n’es pas sans savoir que je ne suis pas fan des pervers et autres obsédés sexuels. Et je te parle en connaissance de cause.

Il se trouve que j’en ai croisé un spécimen la semaine dernière. Il prenait une pause clope devant une porte cochère, rue de l’Aqueduc, et moi je marchais pour rentrer chez moi. Sur mon passage ce joyeux luron a commencé à pousser des petits gémissements coïtaux, agrémentés de bruits de baisers. Arrivée devant lui je ne me suis pas laissée envahir par la peur du viol et la honte, qui restent mes réactions premières dans ce type de contexte, car je sais que ça aggrave leur attitude. Je lui ai dit de cesser ces bruits. Il a donc enclenché le mode agression,  en me demandant pour qui je me prenais (euh, je sais pas, j’hésite entre un jambon et une personne là tout de suite), puis en me disant qu’il allait me suivre, ce qu’il a commencé à faire. Je lui ai hurlé de reculer, en tendant mon bras entre moi et lui, et en veillant à rester à distance. Le mec a été un peu surpris, mais il a continué de me menacer, complètement hors de lui. Alerté par mes cris, 4 mecs dans une boutique me sont venus en aide et l’ont maintenu pour que je puisse partir sous une pluie d’insultes dont je te laisse apprécier la cohérence:

« Pétasse, salope, elle m’a insulté! »

Je suis marié moi, va te faire enculer! »

Le mec s’est arraché à eux plusieurs fois pour revenir vers moi le poing brandi, et je te garantis que c’était pas pour chanter l’Internationale.  A chaque fois les 4 mecs l’ont rattrapé et retenu. Je marchais à reculons pour ne pas le quitter des yeux.

Finalement, de retour chez moi, la peur passée, et sur les conseils bienveillants de mon entourage, je me suis dit que c’était pas possible de rester là sans réagir, et que je voulais porter plainte. J’ai donc décidé de mener un début d’enquête, histoire de mâcher le travail de la police et de pas arriver les mains dans les poches avec mon problème. Je suis alors retournée à la boutique, un peu plus tard, et j’ai appris par mes sauveurs que le type était un ouvrier du chantier de ravalement de façade de  l’immeuble, qu’il avait mis des plombes à se calmer. Sa version c’était que je l’avais provoqué. (C’est bien connu que les filles seules qui marchent sur le trottoir provoquent les ouvriers qui fument leur clope devant les portes, non? Non? On peut rigoler mais c’est ce que le mec leur a dit. Vraiment.) Cool, me dis-je, je vais pouvoir porter plainte, avec toutes ces infos et ces témoins on va pouvoir le retrouver.

En effet, l’injure publique est une contravention, c’est à dire une catégorie d’infraction susceptible d’amende, et si c’est sexiste, c’est aggravant. Tout ça je le sais car je connais un peu le code pénal. De là à dire que « pétasse et salope » sont des mots à légère connotation sexiste, il n’y a qu’un pas que nous pouvons peut être oser franchir, c’est toi qui vois.

Sur les indications du 3430, la nouvelle hotline PAYANTE des commissariats parisiens, je prends RV pour un dépôt de plainte au commissariat.

Nous y voilà. 6 jours après les faits, faute de place avant, je suis prête à porter plainte.

La dame qui me reçoit a un air passablement agacé, exténué et pressé, et dit à sa collègue que j’ai été mal conseillée car comme je vis dans un autre quartier j’aurais dû aller là bas et non ici. Elle se plaint que la hotline leur envoie toujours tout le monde. Il me semble clair que je la fais déjà chier avant d’avoir ouvert la bouche. Elle écoute mon récit d’une oreille distraite, puis elle me déclare qu’il n’y a pas d’infraction et qu’elle ne prendra pas ma plainte. En effet, je n’ai pas été frappée. Donc selon elle c’est limpide que je n’ai pas de préjudice. Madame vient donc en un instant de s’autopromouvoir Procureur (normalement c’est lui qui décide si l’infraction est constituée) et expert médicojudiciaire (normalement c’est lui qui évalue le préjudice moral, et les ITT). Au passage elle nous réécrit la définition de l’injure publique: une injure publique pour être recevable, comporte une agression physique. Elle conclut sa fine analyse de ma situation par un fataliste:

« Que voulez-vous, il est frustré ce monsieur. »

Ah, oui, tiens, ça me semble effectivement justifier l’ensemble de son comportement, j’y avais pas pensé. Puis elle rédige une main courante ni faite ni à faire: je dois insister pour qu’elle remplace « il me traite de noms d’oiseaux » par « il me traite de salope et de pétasse », je lui fais retirer des passages où elle invente carrément des faits que j’ai pas racontés, finalement elle me dit ne pas pouvoir noter tout car les mains courantes sont limitées en caractères. Je signe son papier, je suis très fatiguée soudain, et on me raccompagne.

De retour à la maison, dégoûtée par ce refus et ce comportement  à la limite de la caricature de l’agent qui m’a reçue, je rappelle la hotline des commissariats à 6 centimes la minute, et je demande à la dame qui décroche comment ça se fait, quand même, que la qualification d’injure publique n’a pas été retenue dans l’histoire qui m’est arrivée, alors que des témoins peuvent confirmer. La dame semble décontenancée, puis me confirme que la plainte n’est pas recevable car je n’ai pas pris de coups. Je lui demande alors quelle est selon elle la définition juridique de l’injure publique et si elle confond pas avec coups et blessures volontaires. Et là, Internaute, accroche toi bien à ton PC, la dame de la hotline me rétorque en toute souplesse:

« Je n’en sais rien, madame, je ne connais pas le code pénal. Je ne suis pas agent de police, je suis standardiste. »

Ah d’accord. Autant demander à mon pâtissier de me faire une vidange, dans ce cas-là.

Maintenant, Internaute, soyons sérieux deux minutes, parce que j’aime bien rigoler, mais là point trop n’en faut. La police avec qui j’ai traité pense que ce qui m’est arrivé n’est pas grave. Finalement, elle est sur la même ligne que mon agresseur. Tant qu’on ne frappe pas, on ne risque rien. Même si la loi dit le contraire.

Alors Internaute, peut-on porter plainte contre le harcèlement de rue? Clairement, pour le moment, c’est non. Et c’est pas un problème de loi.

 

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Une réponse à Test IRL : Peut-on porter plainte contre le harcèlement de rue?

  1. Babou dit :

    J’aime bien le Tumblr « Répondons » certaines réponses sont vraiment drôles et ça fait du bien, et certaines sont à apprendre par cœur pour clouer le bec à ces branques…

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