Je suis tombée sur vos lumières, irradiant depuis les hautes sphères du Collège de France mon esprit de lectrice vulgaire. J’ai immédiatement été subjuguée par la pertinence de votre propos. C’est pourquoi j’aimerais vivement revenir sur votre interview, car comment rester de marbre face à cette fulgurance:
« Les métiers de l’enseignement étaient des métiers de promotion sociale. Ils ont cessé de jouer ce rôle. La féminisation massive de ce métier a achevé de le déclasser[…]. C’est inéluctable. Un métier féminin reste encore souvent un emploi d’appoint dans un couple. »
Déjà, vous vous calmez, la féminisation du corps enseignant n’est pas massive, elle est EGALITAIRE. Que vous vous sentiez envahi par toutes ces femelles ne constitue pas un fait objectif. Vous ajoutez, avec la sagacité qu’on vous découvre:
« L’enseignement est choisi par les femmes en raison de la souplesse de l’emploi du temps et des nombreuses vacances qui leur permettent de bien s’occuper de leurs enfants. »
(Alors que les hommes, bien sûr, vont vers des métiers qui leur permettent de nourrir copieusement leurs rejetons sans jamais les fréquenter, n’ayons pas peur des poncifs, qui sont la base de tout bon postulat argumentatif). Lorsqu’à 18 ans, les jeunes filles de notre époque fraîchement bachelières choisissent un cursus universitaire orienté vers l’obtention d’un CAPES (ou agrég’), j’imagine qu’elles n’ont au contraire que foutre d’avoir un emploi du temps aménagé pour une hypothétique progéniture conçue avec un hypothétique mari dans un hypothétique futur lointain. Elles se demandent plus comment être reçues à un concours ou le ratio échec/succès avoisine 85% contre 15%, voire pire. Elles étudient. Les femmes du XXIeme siècle n’ont pas, comme celles de votre époque, que les enfants à la chatte et la maternité comme perspective. Et l’Education Nationale, égalitaire tant dans son recrutement que dans la remunération de ses agents, les accueille sur la foi de leurs performances intellectuelles, c’est incroyable. On aimerait bien que ça se passe comme ça aussi dans d’autres métiers.
Vous ajoutez que le statut de 50 doit être réformé car il est obsolète.
« Ce qui est aberrant, c’est ce statut des enseignants qui n’a pas évolué depuis 1950. Il date d’avant la télévision, d’une époque où très peu de Français allaient au collège et encore moins au lycée. »
Que c’est fin!
Figurez-vous, vous vous coucherez moins inculte, que ce statut a été réformé une bonne vingtaine de fois pour s’adapter à l’évolution du métier, par exemple vous serez surpris d’apprendre que le surveillant général de vos années collège a été remplacé par les CPE. On a aussi inventé les TZR, les COP. Le statut n’a de 50 que le nom, sa dernière mise à jour doit dater de 2005. Donc, vous dites des conneries (par ignorance… ou mauvaise foi?)
Mais vous en dites aussi par simple incapacité à raisonner. En effet, en quoi l’ancienneté d’une disposition légale est un argument pour la juger inadaptée? Est-ce que nous devons réformer aussi la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen au prétexte qu’elle est très ancienne? La fourchette car ça fait trop longtemps qu’on s’en sert pour bouffer? Des conneries, donc.
Permettez-moi une question, car j’ai rien compris: vous soutenez qu’enseignant est un métier sans évolution. C’est pas faux. On ne fait pas prof pour devenir chef d’établissement ou Rectrice, pour ça il faut passer d’autres concours. Mais des promotions peuvent selon vous être obtenues par la voie syndicale ou les inspections. Des promotions vers quoi, du coup, puisque que les professeurs sont déjà au maximum de leur évolution professionnelle?
Vous parachevez votre oeuvre en affirmant sans sourciller que les incivilités à l’égard des professeurs « reflètent ce que pensent les parents et l’ensemble de la société des enseignants. » Diagnostic qui se base sur? Le bon sens? Votre connaissance extralucide des pensées profonde du petit peuple? Moi j’observe des élèves et des familles qui aiment les maîtres, qui apprécient la qualité du savoir transmis. Ils sont nombreux. Ils sont en dehors de la société? La société, c’est juste les vieux réacs déconnectés qui ont un conflit inconscient à régler avec madame Perruche qui leur avait confisqué leurs billes en 1952?
Je crois pour ma part que le déclassement du métier ne vient pas des femmes, qui sont des êtres respectés, respectables, et parfois plus riches que leur maris, mais de certaines personnalités renégates du corps enseignant, médiatiquement surexposées au regard de leur capacités de raisonnement.
Ces personnes décrédibilisent leurs pairs (et paires) par des réflexions indignes des fonctions qu’elles exercent, où l’on enseigne normalement à justifier et débattre en citant des faits dont on vérifie l’exactitude avant de l’ouvrir. Déblatérer des généralités sur les professeurs et les femmes basées sur vos intuitions, ce n’est même pas l’embryon d’un début d’analyse. Consécutivement, votre interview atteint la hauteur du comptoir d’un PMU en happy hour. Si j’étais votre élève, je serais vachement inquiète.
En tout cas, vous venez de rater votre épreuve de bivalence en sociologie. Le plus sage serait de vous réfugier dans votre discipline pour réagir au déclassement intellectuel qui en résulte.